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"Harmonie, l'oeuvre ultime" au Musée Maillol de Banyuls-sur-Mer

 
 Au cœur de Banyuls-sur-Mer, dans un écrin où la mer et la végétation méditerranéenne dialoguent avec la lumière, se déploie une exposition singulière et poignante. 
30 juillet 2025
Dina Vierny Maillol et Dina Vierny à Banyuls-sur-Mer, Janvier 1944 © Louis Carré
'Harmonie', la dernière grande sculpture d’ Aristide Maillol (1861-1947), offre un regard intime sur quatre années intenses de création de 1940 à 1944, marquées par l’isolement, la guerre et un engagement artistique profond. Cette œuvre, restée inachevée à la mort du sculpteur, rejoint néanmoins le panthéon de ses chefs-d’œuvre dispersés aux quatre coins du monde  des musées américains aux jardins japonais, en passant par Israël, mais aussi au cœur même de Banyuls-sur-Mer, à la mairie.

La genèse de cette sculpture s’inscrit dans un contexte exceptionnel : conçue dans la solitude de la vallée de la Roume, loin du tumulte parisien et au plus fort des violences de la Seconde Guerre mondiale, elle scelle à jamais la relation unique entre l’artiste et sa jeune muse,  Dina Vierny  (1919-2009). Plus qu’une simple rétrospective, l’exposition au  Musée Maillol  est une véritable enquête, mêlant aspects plastiques, historiques et humains. Elle présente les différentes étapes de la création  maquettes, dessins, esquisses mais aussi des documents rares, lettres et archives, révélant les silences et les tensions sous-jacentes à l’œuvre. Car derrière la douceur apparente d’Harmonie, c’est une histoire de lutte, de résilience et de beauté en péril qui se raconte.	

Maillol façonnant 'Harmonie', 1943, © Karquel

Dina Vierny posant pour la sculpture 'Harmonie' dans l’atelier d’Aristide Maillol près de Banyuls-sur-Mer, Mars 1941 © John Rewald

«

Il y va de la survie de ma statue si on ne me la rend pas

»

 La première partie de l’exposition plonge le visiteur dans l’intimité de l’atelier de Maillol, lieu de travail et de recherches incessantes. On y découvre le torse originel, de nombreuses esquisses aux variations subtiles, ainsi que des documents jusqu’ici inédits. Ce cadre est celui d’une métairie isolée dans les hauteurs de Banyuls, où Maillol s’est retiré dès 1939, fuyant la capitale et les dangers qui s’y profilent.

Dans ce cadre à la fois rustique et propice à la concentration, le sculpteur entreprend un projet qu’il qualifie lui-même d’exceptionnel : une statue grandeur nature, modelée directement sur la figure vivante de Dina Vierny. Pour la première fois, il cherche à aller "plus près de la vie", à capturer une présence plus immédiate, plus réelle que jamais auparavant. Dina devient alors omniprésente dans ce refuge entre la maison rose du village et le mas perché dans les collines posant pour des dessins, peintures, et multiples études d’une intensité inouïe.

Vue d’exposition représentant les quatre états de 'Harmonie'

 Mais cette quiétude apparente est fragile. Le monde extérieur est en pleine tourmente. Dina, loin d’être une simple muse passive, s’engage activement dans la Résistance, traversant les villes, aidant des réfugiés, s’impliquant dans des réseaux clandestins, et même chantant dans un cabaret marseillais. Son arrestation à Paris en 1943 bouleverse Maillol, qui s’inquiète pour sa muse, mais aussi pour sa sculpture. Il écrit avec anxiété à ses contacts : « Il y va de la survie de ma statue si on ne me la rend pas ». Cette phrase témoigne à la fois de son attachement profond à l’œuvre et de la tension dramatique qui l’entoure.

Dans un geste surprenant, Maillol fait appel à Arno Breker, le sculpteur officiel du régime nazi, pour tenter d’obtenir la libération de Dina. Son retour en novembre 1943 permet la reprise du travail, mais le temps presse. En septembre 1944, Maillol meurt tragiquement dans un accident de voiture, laissant Harmonie inachevée, tandis que Dina, de retour à Paris, participe à la Libération.

Aristide Maillol, 'Dina posant pour Harmonie', vers 1940-1944



Vue de l'exposition 'Harmonie. L'œuvre ultime'

 La seconde partie de l’exposition est consacrée à la sculpture telle qu’elle était au moment du décès de Maillol, illustrant les différentes étapes et états qui traduisent une quête artistique inachevée. On y découvre quatre versions sculptées d’Harmonie, toutes privées de bras. Ce détail n’est pas un simple hasard esthétique : Maillol avait imaginé un geste symbolique, où la main droite viendrait soutenir délicatement le sein gauche, évoquant la forme d’une rose.

C’est John Rewald, historien de l’art et témoin des séances de pose, qui suggéra le titre final, Harmonie. L’absence des bras, loin d’affaiblir la sculpture, lui confère au contraire une tension inédite, une expression poignante de fragilité et d’inachèvement. Le corps semble suspendu dans un mouvement figé, doux et sinueux, tandis que la tête, penchée avec une légère esquisse de sourire, évoque les figures d’Asie du Sud-Est que Maillol admirait.

L’œuvre porte ainsi la marque de ses influences multiples entre héritage occidental et inspiration extrême-orientale avec des formes épurées, des volumes synthétiques, et une rigueur dans l’équilibre des masses qui rappellent Cézanne. Maillol lui-même écrivait à propos de cette statue : « C’est la plus serrée, la plus proche de la nature que j’ai faite ». Cette œuvre est dépouillée de toute fioriture, juste un corps humain, vulnérable, qui se dresse avec la dignité d’un appel à la paix, au milieu du chaos.
 L'exposition met en lumière le contraste saisissant entre le silence et la douceur d’Harmonie, et la violence du contexte dans lequel elle a été conçue. Elle incarne une forme de résistance esthétique, une lutte intérieure entre la volonté d’ordre plastique et le désordre du monde extérieur. Entre la concentration méditative de Maillol et l’énergie engagée de Dina, entre la quête d’une forme parfaite et l’impossibilité d’achever l’œuvre, se joue toute la tension dramatique de cette création.

Le dernier carnet de notes du sculpteur, présenté ici pour la première fois, contient quelques mots poignants adressés à Dina, qu’il croyait une nouvelle fois arrêtée. Même au seuil de la mort, Maillol semblait convaincu qu’il fallait encore « la libérer pour continuer la statue ». Ce lien fait d’admiration réciproque, de confrontation et d’amitié profonde, traverse toute l’exposition.

Vue de l'exposition 'Harmonie. L'œuvre ultime'



Vue de l'exposition 'Harmonie. L'œuvre ultime'

 À travers un parcours dense mais épuré, le visiteur est ramené à l’essentiel : une sculpture, un lieu, un lien humain. Le prêt exceptionnel d’Harmonie conservée dans les jardins de la mairie de Banyuls permet de la redécouvrir dans son contexte d’origine. La scénographie, discrète et contemplative, restitue la chaleur d’un atelier perdu au milieu de la garrigue, avec ses feuilles crayonnées accrochées aux murs et les recherches obstinées d’un maître en fin de parcours. Comme le disait Dina Vierny,  « c’est mon portrait, et c’est son testament ».

Ce nu sans bras, inachevé, représente peut-être la plus parfaite expression de l’art de Maillol. Il incarne une idée du beau qui dépasse la guerre, qui résiste à la douleur et à l’histoire, et qui, même fragmenté, étreint la quête indéfectible d’un monde en équilibre.

 Harmonie, restée inachevée, n’a pas eu le temps de devenir pleinement ce que Maillol en avait rêvé. C’est sans doute ce qui fait sa puissance : une œuvre suspendue, fruit de quatre années de lutte et d’attente, qui concentre l’essence même du travail du sculpteur. La recherche de formes pures, l’échange avec le vivant, et la volonté d’apporter une promesse de paix au cœur du tumulte.

En révélant la complexité de cette création, sa beauté formelle, son histoire tourmentée, son lien indéfectible avec Dina Vierny, l’exposition nous rappelle que l’harmonie véritable ne réside pas dans l’absence de désordre, mais dans la capacité à faire jaillir la grâce, même au sein des fractures les plus profondes du monde.
 La première partie de l’exposition plonge le visiteur dans l’intimité de l’atelier de Maillol, lieu de travail et de recherches incessantes. On y découvre le torse originel, de nombreuses esquisses aux variations subtiles, ainsi que des documents jusqu’ici inédits. Ce cadre est celui d’une métairie isolée dans les hauteurs de Banyuls, où Maillol s’est retiré dès 1939, fuyant la capitale et les dangers qui s’y profilent.

Dans ce cadre à la fois rustique et propice à la concentration, le sculpteur entreprend un projet qu’il qualifie lui-même d’exceptionnel : une statue grandeur nature, modelée directement sur la figure vivante de Dina Vierny. Pour la première fois, il cherche à aller "plus près de la vie", à capturer une présence plus immédiate, plus réelle que jamais auparavant. Dina devient alors omniprésente dans ce refuge entre la maison rose du village et le mas perché dans les collines posant pour des dessins, peintures, et multiples études d’une intensité inouïe.
Dina Vierny Maillol et Dina Vierny à Banyuls-sur-Mer, Janvier 1944 © Louis Carré

"Harmonie, l'oeuvre ultime" au Musée Maillol de Banyuls-sur-Mer

30 juillet 2025
 
 Au cœur de Banyuls-sur-Mer, dans un écrin où la mer et la végétation méditerranéenne dialoguent avec la lumière, se déploie une exposition singulière et poignante. 
'Harmonie', la dernière grande sculpture d’ Aristide Maillol (1861-1947), offre un regard intime sur quatre années intenses de création de 1940 à 1944, marquées par l’isolement, la guerre et un engagement artistique profond. Cette œuvre, restée inachevée à la mort du sculpteur, rejoint néanmoins le panthéon de ses chefs-d’œuvre dispersés aux quatre coins du monde  des musées américains aux jardins japonais, en passant par Israël, mais aussi au cœur même de Banyuls-sur-Mer, à la mairie.

La genèse de cette sculpture s’inscrit dans un contexte exceptionnel : conçue dans la solitude de la vallée de la Roume, loin du tumulte parisien et au plus fort des violences de la Seconde Guerre mondiale, elle scelle à jamais la relation unique entre l’artiste et sa jeune muse,  Dina Vierny  (1919-2009). Plus qu’une simple rétrospective, l’exposition au  Musée Maillol  est une véritable enquête, mêlant aspects plastiques, historiques et humains. Elle présente les différentes étapes de la création  maquettes, dessins, esquisses mais aussi des documents rares, lettres et archives, révélant les silences et les tensions sous-jacentes à l’œuvre. Car derrière la douceur apparente d’Harmonie, c’est une histoire de lutte, de résilience et de beauté en péril qui se raconte.	

«

Il y va de la survie de ma statue si on ne me la rend pas

»

 La première partie de l’exposition plonge le visiteur dans l’intimité de l’atelier de Maillol, lieu de travail et de recherches incessantes. On y découvre le torse originel, de nombreuses esquisses aux variations subtiles, ainsi que des documents jusqu’ici inédits. Ce cadre est celui d’une métairie isolée dans les hauteurs de Banyuls, où Maillol s’est retiré dès 1939, fuyant la capitale et les dangers qui s’y profilent.

Dans ce cadre à la fois rustique et propice à la concentration, le sculpteur entreprend un projet qu’il qualifie lui-même d’exceptionnel : une statue grandeur nature, modelée directement sur la figure vivante de Dina Vierny. Pour la première fois, il cherche à aller "plus près de la vie", à capturer une présence plus immédiate, plus réelle que jamais auparavant. Dina devient alors omniprésente dans ce refuge entre la maison rose du village et le mas perché dans les collines posant pour des dessins, peintures, et multiples études d’une intensité inouïe.

Vue d’exposition représentant les quatre états de 'Harmonie'

 Mais cette quiétude apparente est fragile. Le monde extérieur est en pleine tourmente. Dina, loin d’être une simple muse passive, s’engage activement dans la Résistance, traversant les villes, aidant des réfugiés, s’impliquant dans des réseaux clandestins, et même chantant dans un cabaret marseillais. Son arrestation à Paris en 1943 bouleverse Maillol, qui s’inquiète pour sa muse, mais aussi pour sa sculpture. Il écrit avec anxiété à ses contacts : « Il y va de la survie de ma statue si on ne me la rend pas ». Cette phrase témoigne à la fois de son attachement profond à l’œuvre et de la tension dramatique qui l’entoure.

Dans un geste surprenant, Maillol fait appel à Arno Breker, le sculpteur officiel du régime nazi, pour tenter d’obtenir la libération de Dina. Son retour en novembre 1943 permet la reprise du travail, mais le temps presse. En septembre 1944, Maillol meurt tragiquement dans un accident de voiture, laissant Harmonie inachevée, tandis que Dina, de retour à Paris, participe à la Libération.

Aristide Maillol, 'Dina posant pour Harmonie', vers 1940-1944

Vue de l'exposition 'Harmonie. L'œuvre ultime'

 La seconde partie de l’exposition est consacrée à la sculpture telle qu’elle était au moment du décès de Maillol, illustrant les différentes étapes et états qui traduisent une quête artistique inachevée. On y découvre quatre versions sculptées d’Harmonie, toutes privées de bras. Ce détail n’est pas un simple hasard esthétique : Maillol avait imaginé un geste symbolique, où la main droite viendrait soutenir délicatement le sein gauche, évoquant la forme d’une rose.

C’est John Rewald, historien de l’art et témoin des séances de pose, qui suggéra le titre final, Harmonie. L’absence des bras, loin d’affaiblir la sculpture, lui confère au contraire une tension inédite, une expression poignante de fragilité et d’inachèvement. Le corps semble suspendu dans un mouvement figé, doux et sinueux, tandis que la tête, penchée avec une légère esquisse de sourire, évoque les figures d’Asie du Sud-Est que Maillol admirait.

L’œuvre porte ainsi la marque de ses influences multiples entre héritage occidental et inspiration extrême-orientale avec des formes épurées, des volumes synthétiques, et une rigueur dans l’équilibre des masses qui rappellent Cézanne. Maillol lui-même écrivait à propos de cette statue : « C’est la plus serrée, la plus proche de la nature que j’ai faite ». Cette œuvre est dépouillée de toute fioriture, juste un corps humain, vulnérable, qui se dresse avec la dignité d’un appel à la paix, au milieu du chaos.
 L'exposition met en lumière le contraste saisissant entre le silence et la douceur d’Harmonie, et la violence du contexte dans lequel elle a été conçue. Elle incarne une forme de résistance esthétique, une lutte intérieure entre la volonté d’ordre plastique et le désordre du monde extérieur. Entre la concentration méditative de Maillol et l’énergie engagée de Dina, entre la quête d’une forme parfaite et l’impossibilité d’achever l’œuvre, se joue toute la tension dramatique de cette création.

Le dernier carnet de notes du sculpteur, présenté ici pour la première fois, contient quelques mots poignants adressés à Dina, qu’il croyait une nouvelle fois arrêtée. Même au seuil de la mort, Maillol semblait convaincu qu’il fallait encore « la libérer pour continuer la statue ». Ce lien fait d’admiration réciproque, de confrontation et d’amitié profonde, traverse toute l’exposition.

Vue de l'exposition 'Harmonie. L'œuvre ultime'

Vue de l'exposition 'Harmonie. L'œuvre ultime'

 À travers un parcours dense mais épuré, le visiteur est ramené à l’essentiel : une sculpture, un lieu, un lien humain. Le prêt exceptionnel d’Harmonie conservée dans les jardins de la mairie de Banyuls permet de la redécouvrir dans son contexte d’origine. La scénographie, discrète et contemplative, restitue la chaleur d’un atelier perdu au milieu de la garrigue, avec ses feuilles crayonnées accrochées aux murs et les recherches obstinées d’un maître en fin de parcours. Comme le disait Dina Vierny,  « c’est mon portrait, et c’est son testament ».

Ce nu sans bras, inachevé, représente peut-être la plus parfaite expression de l’art de Maillol. Il incarne une idée du beau qui dépasse la guerre, qui résiste à la douleur et à l’histoire, et qui, même fragmenté, étreint la quête indéfectible d’un monde en équilibre.

 Harmonie, restée inachevée, n’a pas eu le temps de devenir pleinement ce que Maillol en avait rêvé. C’est sans doute ce qui fait sa puissance : une œuvre suspendue, fruit de quatre années de lutte et d’attente, qui concentre l’essence même du travail du sculpteur. La recherche de formes pures, l’échange avec le vivant, et la volonté d’apporter une promesse de paix au cœur du tumulte.

En révélant la complexité de cette création, sa beauté formelle, son histoire tourmentée, son lien indéfectible avec Dina Vierny, l’exposition nous rappelle que l’harmonie véritable ne réside pas dans l’absence de désordre, mais dans la capacité à faire jaillir la grâce, même au sein des fractures les plus profondes du monde.

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