Ilya Kabakov est un peintre conceptuel russe.
Son art doit une part importante à Marcel Duchamp, qui le premier découvrit que l'art ne repose pas nécessairement sur un support plastique, mais peut s'inspirer d'une idée. Idée insolente, pensée désincarnée qui donne naissance aux objets. Marcel Duchamp avait décidé que l'idée, la "cosa mentale" devenait l'œuvre d'art. La tentative d'organiser, grâce à la peinture, une esthétique ou la représentation de la beauté, n'avait plus d'intérêt alors qu'il suffisait d'élire un objet et de lui conférer l'univers des sens pour l'élever au concept d'œuvre d'art. L'extension de ce théorème donnera l'art conceptuel. Kabakov, pour sa part, va recourir à l'illustration et au langage pour mettre en forme le concept d'un monde dominé par l'absurde.
Ilya Kabakov est un peintre de l'absurde. Son art Kafkaïen se nourrit des images de la vie quotidienne. Art emblématique de haut niveau, il peut comme la parole de Mallarmé sembler hermétique, mais il ne l'est pas. La pensée d'Ilya Kabakov est avant tout humaine. C'est un homme bon, et ses personnages restent dans les angles parce que possédés par la crainte ancestrale russe, ils ont peur de venir dans le centre du papier. Son œuvre, à l'image de son auteur, est riche de paradoxes et d'ironie. Kabakov invente un monde revu et repensé par une peinture libérée des conventions de la représentation. Mais, à la différence des autres artistes formalistes qui ont épuisé le genre en orientant la peinture contemporaine vers un intellectualisme glacé, Kabakov lie sa démarche intellectuelle à une chaude expression plastique de haute qualité et d'une rigoureuse pertinence. Dans un siècle où la peinture est devenue un discours, la fraîche éloquence de Kabakov va droit au cœur. Bien que connu dans le monde entier, Kabakov expose peu à Moscou. Son isolement le pousse à créer des œuvres toujours plus grandes et des formats dont les dimensions n'auront d'autre destin que le calme des musées ou le silence de l'atelier.
Cette première exposition individuelle à Paris permet de mesurer l'importance de son travail et de le comparer aux plus grands artistes contemporains. En attendant, l'artiste vivant sa philosophie au naturel, entre dans la pyramide de son atelier, d'où nous allons le faire sortir par magie et par l'esprit de ses oeuvres.
- Dina Vierny